"Zone tendue" De quoi parle t'on ?

Article publié le ven 29 juillet
carte de la tension immobiliere en bretagne
Ci dessus une carte de l'analyse régionale des tension locatives. Carte produite par la DREAL. On remarque qu'une grande partie de la région Bretagne est déja en situation de tension selon les critères du ministère de la transition écologique.

 

Le 26 juillet 2022, lors de l’examen du projet de loi de finances1 à l’Assemblée nationale, le député du Morbihan Paul Mocal a tenté de faire voter un amendement visant à étendre le classement dit «zone tendue» à l’ensemble de la Bretagne. Cette revendication vise à endiguer la crise du logement dans les territoires attractifs, notamment les territoires touristiques et littoraux, mais dont les mesures sont également applicables aux contextes métropolitains. Nous souhaitions revenir en détail sur cette revendication portée par de nombreux collectifs et élus, qui si elle n’est pas une solution miracle et comporte certains risques pourrait offrir aux collectivités locales de leviers d’actions. Même si nous obtenions l’extension des mesures « zone tendue », l’exemple du Pays basque montre que son application effective devra faire à l’opposition des lobbys de l’immobilier et des élus libéraux refusant toute limite au marché libre de l’immobilier. Le rôle des collectifs locaux semble essentiel pour contraindre à une application réelle d’une politique sociale de l’habitat pour produire des villes réellement accueillantes.

 

 

La loi ALUR de 2014 et la loi ELAN de 2018 créent des zones dites « tendues » pour les villes répondant à certains critères : « Il s'agit des zones d'urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant. Ces difficultés se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d'acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logement par rapport au nombre d'emménagements annuels dans le parc locatif social2 ». Ce dispositif permet ou impose aux communautés de communes plusieurs mesures, qui sont applicables à partir du 1er janvier 2019, de fait pour toutes les villes de plus de 200 000 habitants, ainsi que pour les autres communes de plus de 50 000 habitants et leur agglomération, mais sous réserve de l’accord du préfet. En premier lieu, la mise en place obligatoire d’observatoires des loyers qui sont chargés d’assurer une veille sur l’évolution de l’immobilier, des loyers, de la construction, du taux de tension dans le parc public, du taux d’effort des ménages etc. Ils produisent et recensent toutes les données utiles à ces observations afin d’éditer des états des lieux de la situation du logement sur le territoire, permettant ainsi une bonne compréhension des besoins des populations et donc des leviers à actionner. Ces observatoires sont également les garants de la bonne application des réglementations et sont chargés de mener des contrôles et de prononcer des sanctions si nécessaire.

 

carte postale droit à la mer pour les précaires

 

Une autre des mesures phares permise par la zone tendue est celle de l’encadrement des loyers (rappelez-vous, la loi de 1948 supprimée par Chirac dans les années 80!). Les communes concernées peuvent demander au préfet, à titre expérimental et pour une durée de 5 ans, le droit d’encadrer les prix des loyers du privé lors de la relocation des logements : augmenter le montant du loyer entre deux locataires devient illégal au-delà de l’indice de référence des loyers. Cependant, de nombreuses exceptions rendent le dispositif contournable. La loi ELAN de 2018 ajoute à ce dispositif le plafonnement des loyers qui s’applique, en plus de l’encadrement, pour les logements neufs ou anciens, vides ou meublés, à usage de résidence principale. Concrètement, cela signifie que le prix de la location au mètre carré ne peut dépasser de plus de 20 % la valeur de référence établie par le Préfet du département concerné. Cela dit, là aussi un dépassement du plafond est permis dans certaines conditions. Mais les critères d’éligibilité des communes au plafonnement des loyers sont bien trop restrictifs : un loyer médian jugé « élevé » et des constructions trop peu nombreuses pour répondre aux besoins.

 

action pont pour la manifestation du 10 septembre à Vannes

 

Des outils de régulation du marché des meublés de tourisme sont également introduits comme la procédure d’enregistrement en mairie, la limitation du nombre annuel de nuitées pour les résidences principales ou l’autorisation préalable de changement d’usage pour les résidences secondaires. S’il s’agit de la location d’une chambre au sein de son logement principal, elle n’est soumise à aucune réglementation. Pour la location d’une résidence principale entière, une limite de 4 mois ou de 120 jours par an est acceptée, sans que le bailleur ait à effectuer des démarches particulières, sauf si la mairie demande un numéro d’enregistrement ainsi qu’un décompte des nuitées3. Au-delà du seuil de 120 nuitées par an, le bailleur devra obtenir une autorisation de changement d’usage et l’appartement ou la maison ne sera plus considérée comme un logement d’habitation mais comme un local commercial avec fonction hôtelière. Il pourra donc être loué toute l’année en meublé touristique mais dépendra du droit commercial et sera ainsi assujetti à la taxe de séjour. Pour les résidences secondaires, une déclaration en mairie est obligatoire partout en France avec obtention d’un numéro d’immatriculation, et dans les villes de plus de 200 000 habitant·es et les zones tendues, un changement d’usage (de l’habitation vers le local commercial) et une autorisation préalable de la commune sont obligatoires au-delà de 120 nuitées par an. Ces autorisations de changement d’usage sont parfois très limitées (comme à Paris où elles sont très peu délivrées) et souvent temporaire (délivrées pour 2 ou 4 ans, renouvelable ou pas).

La loi ELAN permet également d'exiger que les propriétaires s’acquittent d’une « compensation » en échange de la perte d’un logement au profit d’un « meublé de tourisme ». Les propriétaires ont ici deux solutions : soit, ils disposent d’un autre local non habitable (commerce ou bureau par exemple) qu’ils transforment en logement, soit ils achètent un titre de compensation à un bailleur qui produit à leur place un nouveau logement à usage d’ habitation4. Dans les villes de plus 200 000 habitants et dans la petite couronne parisienne, aucun autorisation de changement d’usage n’est délivrée sans cette compensation. En général, le propriétaire doit compenser à surface égale mais, dans les arrondissements les plus touristiques de Paris, la surface doit être doublée. Cette mesure a le mérite de calmer drastiquement les appétits en matière d’investissements locatifs touristiques.

 

Dans le panel des actions possibles grâce à la mise en place de zones dites « tendues », les communes peuvent jouer sur la fiscalité locale en majorant la taxe d’habitation sur les résidences secondaires5 sur un un taux modulable de 5 % à 60 %, selon le choix des communes. Mais en 2020, seules 272 communes françaises appliquaient cette majoration, soit 20 % des communes ayant le droit de l’instaurer. Et sur ces 272 communes, seules 33 appliquaient la majoration maximum. Mais la tendance est à l’augmentation6. En Bretagne historique, seules les agglomérations de Nantes et Saint Nazaire sont en zones tendues. À Nantes, la taxe est majorée seulement de 20 %, alors qu’à Saint Nazaire et Guérande elle l’est à 60 %. Toujours pour l’année 2020, le montant de la surtaxe s’est élevé en moyenne en France à 248 € par logement7, ce qui fait relativiser l’impact réel d’une telle mesure qui reste plus symbolique que suivie d’effets sur le marché immobilier.

 

affiche manifestation lannion zone tendue

 

Si un logement est vide sur une commune « tendue », il est susceptible d’être soumis à la taxe annuelle sur les logements vacants, sous réserve d’être habitable (installation électrique, eau courante, équipement sanitaire). Cet impôt permet aux communes concernées d’imposer une taxe sur les logements considérés comme vacants depuis au moins un an afin d’inciter les propriétaires à les remettre sur le marché8. En 2021, l’INSEE décomptait plus de 3 millions de logements vacants en France (8,3 % de la totalité du parc). En Bretagne, ce taux est en constante augmentation et représentait près de 145 000 logements en 2018, soit 7,5 % du parc. Associée aux mesures de préemption et d’expropriation du droit commun, cet outil aurait un potentiel efficace sur le parc vacant. Un peu de volontarisme politique permettrait aux collectivités locales de préempter nombre de ventes afin de de se créer des réserves foncières et immobilières plutôt que de laisser le secteur privé se les accaparer sans répondre aux besoins des populations. Avec la préemption, les mairies ont la possibilité de préciser à quel type d’habitat elle destine ces nouvelles propriétés municipales avec un pourcentage de résidences principales et secondaires par exemple. Dans le cas où le rachat à l’amiable ne serait pas possible, les procédures d’expropriation existent également afin de répondre à une utilité publique, entre autres à la création de logements9. De plus, toujours dans le droit commun, les Plans Local d’Urbanisme et les Programmes Locaux de l’Habitat, désormais obligatoires pour toutes les communes, pourraient permettre de bien aiguiller l’action publique en matière de logement et de foncier. Cela permettrait de trouver des solutions plus satisfaisantes que la construction : des enquêtes, comme celle de la géographe Solène Gaudin, montrent que dans nombre de territoires, la construction de logements neufs ne répond pas aux besoins des populations les plus précaires, en terme de taille et de prix10. Pire, qu’une large partie de ces constructions neuves, notamment sur le littoral, deviennent des résidences secondaires. La responsabilité politique serait plutôt de considérer les enjeux écologiques en privilégiant toutes les solutions qui permettent de produire du logement sans artificialiser les sols et en protégeant les terres agricoles. Les outils comme les PLU et les PLH peuvent être utilisés par les communautés de communes comme des moyens de sanctuariser le foncier agricole et les terres non-artificialisées, tout en étant combinés à des objectifs ambitieux en matière de logement, en particuliers à destination des publics les plus précaires. Un fléchage privilégié des aides à la réhabilitation et à la rénovation énergétique en direction des ménages les plus pauvres permettrait de lutter effectivement contre l’habitat indigne et insalubre.

 

La création du dispositif de la « zone tendue » en plus des autres leviers existants permet donc, malgré de nombreuses dérogations possibles, des avancées significatives en matière de régulation du marché locatif. Cependant, nombre de territoires subissant pourtant de fortes tensions immobilières de par leur attractivité touristique en sont exclus s’ils ne répondent pas à tous les critères, et ce sont les préfets qui détiennent le pouvoir d’accorder ou non ce statut aux communes qui le souhaiteraient.

 

affiche residence szcondaire ta maire

 

La "zone tendue" n’est pas une solution miracle. Si l’extension de son application, demandée par les collectifs pour le logement en Bretagne, aboutit, il faudra une mobilisation forte pour faire appliquer réellement les mesures les plus contraignantes pour le marché. Nous n’avons pour le moment pas le recul nécessaire pour observer les bénéfices dans les territoires dans lesquels les mesures sont appliquées, mais le manque de contrôle effectif par les municipalités des limites imposées semblent freiner les bénéfices potentiels des mesures appliquées.

 

La zone tendue introduit également des mesures de défiscalisation de l’investissement locatif dite « loi pinel ». Pour Lorent Dequay, dans un article de Marianne «Le dispositif qui va évoluer en « Pinel plus» est une aubaine pour réduire ses impôts. Mais ce carburant de la construction alimente la flambée des prix et représente un frein à l'accession à la propriété pour les foyers modestes.11 » En rendant ces territoires plus attractifs pour les promoteurs privés, il se produit un enchérissement du prix du foncier qui le rend inaccessible pour les bailleurs sociaux et ralentit la production de logement social abordable pour les foyers modestes. Si le dispositif pinel atteint bien ses objectifs de production de nouveaux logements, il produit aussi une montée des prix et une spéculation supplémentaire dans les territoires concernés.

 

 

 

 

 

1https://www.ouest-france.fr/bretagne/logement-en-bretagne-les-amendements-du-depute-paul-molac-sur-les-residences-secondaires-retoques-d9f85612-0dd2-11ed-bd80-f0737bfd1fbf
2décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champs d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code Général des Impôts
3 Depuis 2016, toutes les communes ont le droit d’instaurer une procédure de déclaration préalable (numéro d’enregistrement) pour toutes les locations meublées de courte durée.
4toutsurmesfinances.com
5 une résidence est considérée secondaire si elle est occupée moins de 8 mois par an
6https://www.toutsurmesfinances.com/impots/surtaxe-de-la-taxe-d-habitation-sur-les-residences-secondaires-logements-et-liste-des-villes.html
7ToutSurMesFinances.com
8 un logement est considéré vacant s’il est occupé moins de 90 jours consécutifs par an
9Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique
10Entretien avec Solène Gaudin, février 2022
11https://www.marianne.net/societe/logement/comment-le-dispositif-pinel-empeche-les-foyers-modestes-de-devenir-proprietaires