En Catalogne, une loi d'urgence pour la limitation des loyers

Article publié le dim 27 septembre
barcelona

Mercredi 11 septembre, le parlement de Catalogne a approuvé à 71 voix contre 63 une proposition de “loi d’urgence pour la limitation des loyers en Catalogne”. 

Ces deux dernières décennies, habitants et habitantes de Catalogne ont vu leurs possibilités d'accès à l’habitat se compliquer drastiquement sur fond de spéculation immobilière, gentrification et tourisme de masse. Cette loi est vue comme une première victoire dans le combat pour habiter dignement mené par des habitants et habitantes.

Image d'illustration sous licence Creative Commons de Konstantinos Dafalias

Plus d'un an d'efforts pour obtenir le vote..

Les discussions sur le texte démarre mi 2019 sous l’impulsion du « sindicat de los llogateres », [ syndicat des locataires en catalan ] un regroupement d’habitant-e-s de Barcelone qui luttent pour « la defense du droit a l’habitation, et pour des locations accessibles, stables, sûres, et dignes. »

Le syndicat dont plus 2000 familles sont membres a mené un an de discussions avec le gouvernement régional, le département de la justice et le département des territoires et du développement durable pour aboutir à une première proposition de loi  appuyée par 4 groupes parlementaires le 15 juillet 2020. 

Un des groupes signataires (Junts per Catalunia), dont l’appui est nécessaire à l’obtention d’une majorité au parlement, a accompagné la proposition de loi de 8 amendements réduisant significativement sa portée.

Les 4 000 associations, institutions, et collectifs qui soutiennent le projet de loi se sont rapidement mobilisés , et appuyés par les habitants et habitantes ils sont parvenus à retirer 6 des amendements durant deux mois de négociations.

Le texte a finalement été adopté par le parlement régional le mercredi 11 septembre.

Une loi votée sur fond de grave précarité locative...

Après l’accueil des jeux olympiques en 1992, Barcelone connaît une forte augmentation du tourisme pour atteindre aujourd’hui 40 millions de visiteur-e-s annuel-l-es. Dès le début des années 2000, les loyers subissent des augmentations pouvant atteindre 10 % par an dans un pays ne disposant pratiquement d’aucun parc social. La crise de 2008 qui a appauvri largement les populations n’entraine qu’une faible et temporaire baisse des loyers.

A partir de 2011, l’arrivée d’AirBNB entre autre, provoquera une nouvelle vague d’augmentation des loyers. Dans une ville historiquement populaire, l’exode est massif, tant les classes populaires et moyennes ne peuvent plus concurrencer la rentabilité du logement touristique et l’investissement massif qu’il attire. En deux ans plus de 40 000 logements deviennent des locations touristiques de courte durée. Si ceux-ci se concentrent sur le centre-ville, un effet domino entraîne une forte hausse des loyers dans toute la banlieue.

..et de spéculation immobilière.

A partir de 2013, les fonds de pensions américains, dont Blackrock et Goldman Sachs, ont particulièrement investi dans l’immobilier résidentiel des grandes villes espagnoles dans un pays très fragilisé par la crise de 2008. Surnommés “fondos buitres” [ les fonds vautours en espagnol ] ils ont ainsi largement contribué à la précarité locative comme le détaille Yann Maury dans un article de 2018.

La loi espagnole, très souple pour les propriétaires, permet de larges augmentations de loyer aboutissant à de très nombreuses expulsions locatives. Diana Virgos, résidente de Barcelone dans un immeuble détenu par le fond « buitre » Vivenio, illustre le phénomène comme le raconte el salto diario,. 

En 2017, elle signe un bail de 3 ans pour un 39m² à 515 euros par mois. A la fin du bail, si elle souhaite rester elle doit accepter une augmentation du loyer à 750 euros pour les trois premières années, puis à 1000 euros la 4ème. 

Avec le sindicat de los llogateres, elle s’est battue contre cette augmentation. La nouvelle loi adoptée pourrait permettre qu’elle reste dans l’appartement.

Les effets immédiats de la loi

La loi est entrée en application dès le lendemain du vote et concerne les 60 villes au marché locatif le plus tendu de la région.

Voici quelques points de la loi :

    • De manière générale, les nouveaux contrats de locations de logement déjà loués ne pourront être supérieur au précédent.

    • Si le logement est à un prix supérieur à la moyenne de la zone, le nouveau contrat devra être en dessous du seuil fixé par la generalitat. Ceci devrait aboutir à des baisses de prix des loyers.

    • Les biens nouveaux sur le marché devront s’adapter à l’indice fixé par la generalitat

    • Des exceptions pourront être accordées en cas de grande réhabilitation, ou si le propriétaire est lui-même dans une situation de vulnérabilité.

    • La région se dotera d’un organisme de contrôle et de répression des abus.

    • Pour la première fois les organisations de locataires seront reconnues dans les commissions de règlement des conflits entre propriétaires et locataires.

La victoire de la mobilisation

Dans un communiqué le sindicat de los llogateres déclare que cette loi « qui incarne les désirs d’une large partie de la société civile » est « le fruit de la lutte des trois dernières années des locataires ». Le sindicat rajoute : « Celle-ci n’aurait pas été possible sans les 2000 familles qui ont résisté aux expulsions, et aux nombreux blocages devant les immeubles. »

Le syndicat qui revendique 2000 familles adhérentes termine son communiqué en appelant les populations à continuer de s’organiser pour obtenir d’autres victoires vers l'accès à un logement digne. D’autant que dans un contexte tendu entre l’état espagnol et la région catalane, les opposants à cette loi cherchent à la rendre inconstitutionnelle vis-à-vis de la constitution nationale, et ils pourraient trouver l’appui de la droite et de l'extrême droite qui, au-delà de ne pas approuver les mesures coercitives sur les logements, pourraient voir un moyen de s’affronter au régionalisme catalan qui divise la société espagnole.

 

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